Le briquet ne marche pas !
J’insiste, toujours rien, le clap a retenti, l’équipe est en place, le front du réalisateur dépasse du combo, la tension et l’attention sont à leur comble… je n’arrive pas à allumer ma cigarette !
Même si je ne fume plus, il faut y arriver. Fumer la première bouffée qui marque le début de cette séquence, pour pouvoir ensuite jouer le reste… l’étincelle est bien là mais pourtant ça ne prend pas… le producteur s’impatiente : de toutes façons il l’avait bien dit que je n’étais pas un bon choix pour ce rôle et je suis en train de lui en apporter la preuve… le réalisateur prend sur lui… le chef opérateur décolle son œil de l’œilleton et en profite pour faire une dernière modification… le premier assistant caméra est prêt à couper le moteur…
Maudit briquet, cigarette à la con, métier débile… qu’est-ce que je fais là, en train de mettre dans un tel état pour un putain de briquet qui ne marche pas ?
Et puis soudain, arrivé de nulle part, discret, comme un souffle, Michel, l’accessoiriste me prend le briquet et le fait marcher immédiatement ; il l’a fait calmement, avec un calme déroutant. Il me montre à nouveau la façon de faire et cette fois-ci je l’écoute. Il me l’avais déjà expliqué mais je ne l’écoutais pas, trop concentré sur ma nervosité et ma fébrilité. Je suis ses conseils et soudain tout est clair. Le briquet s’allume, je tire la première taffe, la séquence se déroule… il y aura quatre autres prises, quatre autres cigarettes… mais je ne tousse pas, car l’accessoiriste de plateau a eu la délicatesse de mettre des ultra légères.
La scène se termine et cette fois-ci je demande une explication sur ce briquet à Michel. Il m’explique tout, le mécanisme, l’origine, la date, la matière… en deux minutes me voilà spécialiste des vieux briquets et de leurs fonctionnements… j’étais venu pour jouer une scène dans un film et me voici à présent spécialiste des briquets de table KW en bronze émaillé ; le décor est en relief représentant un bateau… et vu le sujet du film, Michel a pensé que ce briquet serait le plus approprié… Où l’a-t-il trouvé ? Secret absolu.
Déjà, une semaine auparavant, Michel, ancien marin, m’avait appris à faire plusieurs types de nœuds pour les besoins d’une scène et m’avait donné la confiance nécessaire pour le faire à l’écran de la manière la plus naturelle qui soit.
Me voici maintenant à l’arrière de sa bijoute, caverne d’Ali baba qui ferait fantasmer le plus perdu des enfants devant tant de trésors de toutes origines. Il y a là des plaques d’immatriculation de tous les pays, des faux billets, des stylos, des cahiers, des téléphones du début du siècle, des appareils photos, des instruments de médecine, des fusils, des lampes de poche… un trésor dans une camionnette banalisée… tous ces accessoires glanés patiemment, au fil des ans et des voyages qui vont rendre crédible la plus grosse des productions, permettre aux spectateurs de s’évader totalement ; car on le sait c’est dans ses détails qu’un film prend toute son importance, son authenticité… et cela c’est tout autant la bijoute de l’accessoiriste qui l’apporte autant que l’accessoiriste lui-même…
Je me souviens de toutes ces scènes à tables où, entre chaque prise, l’accessoiriste nous ressert un plat chaud pour que, même à la dixième prise, le spectateur croit encore que nous dévorons avec envie la langue de bœuf que le scénariste avait décrit, sans savoir à quel point c’est répugnant.
J’aimerais rendre hommage à toutes celles et ceux qui font qu’une bougie va s’éteindre devant vous comme si un courant d’air frais l’avait emporté, qu’une porte s’entrouvre poussée par un fantôme imaginaire, qu’un pistolet ne soit jamais enrayé, qu’un scooter des années 70 démarre du premier coup, qu’une mygale soit devant un tronc d’arbre et n’en bouge pas… tous ces éléments qui rendent votre travail crédible et concret.
Et surtout, une constante apparaît dans votre profession : la patience et la transmission.
C’est pour certains accessoire mais c’est pour nous essentiel.
Le briquet marche et tout s’éclaire !
Raphaël Personnaz, acteur