Le jeu des sept erreurs

J’ai les clefs des châteaux, des bureaux, des cellules et des menottes, des bagnoles de luxe et des tacots, celles des coffres et celles des chiottes.
Je garde la main sur des valises pleines de poudre, d’herbe, de cachets de toutes sortes, je brasse des billets de toutes les banques par liasses entières, petites coupures et lingots d’or, administre toute la paperasse, tampons et documents, passeports.
J’ai tout ce qu’il nous faut, tout ce qui a été prévu et même un peu plus, « au cas où »… Il faut bien parer aux envies, aux besoins et faire plier ce monde à nos volontés ! Pour cela je verse parfois aussi le sang, je fais du petit bobo à la décollation, et l’amputation, l’éventrement ou l’égorgement, je fais ça propre et fais toujours bien attention aux vêtements… et puis j’efface les traces, je nettoie consciencieusement partout, les murs, les sols, le coffre des bagnoles.
J’ai des téléphones à ne plus savoir qu’en faire mais m’assure qu’ils fonctionnent bien tous, toujours chargés, allumés, je rends joignables les absents et fais parler les morts.
J’émousse les lames de rasoir et ramasse les mégots pour en garnir les cendriers, je remplis les verres des soiffards, ni plus ni moins que la fois d’avant, je donne des sacs aux passants, distribue des clopes aux prostituées, comme je donnais hier leurs munitions aux soldats et remplissais leurs gamelles, en répétant que « cette poubelle n’est pas une poubelle » .
J’ai un œil sur tout, je scanne et scrute le moindre fait et geste de tous, il faut bien que tôt ou tard tout rentre dans l’ordre, revienne à son état d’origine.
J’avance et retarde les montres, les pendules, méthodiquement, régulièrement je soumets le temps, je dirige les brumes et les brouillards, jour et nuit en intérieur comme en extérieur.
Les yeux rivés sur l’espace et ses détails, j’en ordonne les ouvertures et fermetures des portes. Tapi dans l’ombre, je me dois de rester hors de vue, j’observe sans répit semer le chaos dans un monde d’objets, des humains qui répètent les mêmes gestes, disent toujours les mêmes choses, à demande, les instants se revivent à l’infini, comme le vivant, mutants d’infimes variations jusqu’à leur déroulement sublime, le moment choisi qu’on va garder pour la postérité, celui qui s’ancrera dans une éternité et qu’on fera ressurgir à volonté. Une fois celui-ci capturé et suspendu, viendra alors le temps de former un autre ordre, un autre espace, d’en agencer ses volumes, d’y semer les signes et de voir ce qui s’y passe, laisser la nature humaine y exprimer son horreur du vide, faire le tri et bien se souvenir de ce désordre-ci pour le reproduire, asservir le hasard selon nos désirs et puis… tout lier, tout re-lier, les bouts de rue, les morceaux de chambres, de pièces, les bribes de temps, les fragments de gestes et portions de corps en mouvements, de la fusion de ces agrégats, de leur raccordements éclora un tout qui sera supérieur à la somme de ses détails… peut-être.
Gardien d’un capharnaüm millimétré, sachant où était, où est et où ira chaque objet d’un inventaire en perpétuelle métamorphose, je sais ce que chacun a dans les poches, j’en ai déjà défini la liste, je suis l’accessoiriste.

Anonyme

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